Exigeant une double analyse (à la fois une analyse financière + une analyse des critères socialement responsables) les fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) ou ESG (critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance) devraient coûter plus chers aux sociétés de gestion et donc être plus onéreux pour les épargnants, mais est-ce le cas ?
Par ailleurs, les fonds ISR ou ESG permettent-ils de meilleures performances ?
L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a publié en mai 2021 une étude de 45 pages intitulée « Frais et performances des fonds commercialisés en France et intégrant une approche extra-financière entre 2012 et 2018 » sous la signature de Pierre-Emmanuel Darpeix et Natacha Mosson. Voici quelques extraits significatifs de cette analyse :
Les investisseurs individuels se sentent de plus en plus concernés par les enjeux liés au développement durable : 87 % y accordent de l’importance selon un sondage réalisé en juin 2019 par Audirep pour l’AMF auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 18 ans et plus.
Théoriquement plus coûteux, en réalité moins chers pour des raisons de marketing et commerciales
Dans la mesure où la prise en compte de critères extra-financiers ajoute une dimension d’analyse pour le gérant (pouvant générer un coût supplémentaire) et induit une restriction sur l’univers des actifs, on aurait pu craindre que les fonds intégrant des approches extra-financières coûtent plus cher et sous-performent leurs équivalents standards. Ce n’est pas ce que montre cette première analyse.
L’étude remarque que les parts de fonds prenant en compte des critères extra-financiers auraient eu tendance à coûter moins cher que les autres.
Ce coût moindre des parts de fonds intégrant une dimension extra-financière ne peut a priori pas s’expliquer par la taille du fonds ou par leur proportion importante parmi les Fonds communs de placement d’entreprise (FCPE)…/…. Une piste d’explication pourrait résider dans la demande croissante pour ces produits qui constitueraient des produits d’appel et bénéficieraient ainsi d’une politique commerciale avantageuse sur les frais.
Plus performants ou pas ?
Une méta-analyse réalisée à partir de 85 études n’est pas parvenue à démontrer de lien avéré entre critères extra-financiers et performance financière alors que Friede et al (2015) sont parvenus à démontrer grâce à une méta-analyse basée sur 2 200 études un impact financier positif de la prise en compte des critères ESG. 90 % des analyses mettent ainsi en avant une relation non négative (i.e. positive ou nulle) entre la performance financière et la prise en compte de critères ESG et la majorité des analyses montrent même une relation positive, stable dans le temps. Cette diversité des résultats peut s’expliquer par la pluralité des stratégies d’investissement et des modalités d’intégration des critères extra-financiers qui peuvent être mises en œuvre par les gérants et qui rendent la catégorie des fonds ISR ou ESG très hétérogène.
Cette absence de différence significative a été confirmée pour les fonds commercialisés en France entre 2004 et 2007. Aucune sur- ou sous-performance des fonds intégrant une approche extra-financière ne peut être mise en avant à cette époque mais les auteurs montrent dans quelle mesure les modalités du processus de sélection affectent la performance des fonds. Ainsi, le nombre de critères d’exclusion semble négativement corrélé à la performance, ces derniers réduisant l’univers investissable et donc les possibilités de diversification. De plus, les filtres d’exclusions sectoriels conduisent à une sous-performance alors que les filtres transversaux sont neutres.
Dans leur analyse des fonds actions ISR américains entre 1997 et 2005, Gil-Bazo et al (2010) indiquent que les fonds ISR ont surperformé leurs équivalents conventionnels, entre 0,96 % et 1,83 % par an avant frais. Ils mettent en évidence cependant une différence entre les sociétés de gestion généralistes, et celles qui se sont spécialisées dans l’ISR : les fonds ISR des généralistes semblent en effet sous-performer leurs équivalents conventionnels, alors que les fonds ISR des sociétés spécialisées affichent une performance annuelle supérieure aux équivalents conventionnels.
Climent et Soriano (2011) de leur côté concluent que les fonds actions américains spécifiquement environnementaux (« green ») n’ont pas enregistré de performance (ajustée du risque) plus faible que leurs équivalents ISR et conventionnels entre 1987 et 2009.
Une surperformance constatée récemment
Il semblerait cependant que la surperformance des titres incluant une dimension extra-financière se soit affirmée sur la période récente. Ainsi Bennani et al (2018) montrent sur le marché actions qu’introduire des filtres ESG dans la sélection des titres du portefeuille a eu un impact neutre, voire négatif entre 2010 et 2013. À l’inverse, acheter les titres best-in-class et vendre les titres worst-in-class de la zone euro aurait généré un rendement annuel supérieur de 6,6 % sur la période 2014 – 2017.
Une actualisation des résultats incluant la période janvier 2018 – juin 2019 a confirmé ces conclusions (Drei et al (2019)). Un phénomène similaire est également démontré́ sur le marché des titres obligataires européens les mieux notés (investment grade) : Ben Slimane et al (2019) démontrent que la période 2014 – 2019 a été favorable aux investissements ESG contrairement à la période 2010 – 2013.
Très récemment, au détour d’une analyse sur la performance des fonds d’investissement pendant la crise Covid-19, Pastor et Vorsatz (2020) ont mis en évidence une corrélation positive entre la performance des fonds et la note ESG attribuée par Morningstar sur la base du détail des titres en portefeuille. L’ESMA (2020) fait référence à deux billets publiés par des rediffuseurs de données indiquant que les fonds ESG ont mieux résisté à la crise de 2020 que leurs homologues standards.
Du point de vue des frais, on peut comprendre que la constitution et le suivi de portefeuilles intégrant la dimension extra-financière puissent induire des coûts additionnels pour les gérants, notamment en termes d’analyse de ces critères et d’accès à des données nouvelles ou complémentaires.
En conclusion, il semblerait que les produits qui intègrent une approche extra-financière pourraient s’avérer de bons produits d’appels pour les sociétés de gestion, et bénéficier à ce titre d’une tarification avantageuse. On peut aussi soutenir l’argument que la réduction du périmètre des titres acceptés dans le portefeuille permet aux gérants de réduire leurs coûts de recherche, et d’améliorer la qualité de leurs analyses financières des entreprises (ce qui aurait aussi comme effet d’accroître la performance brute du portefeuille). Enfin, on pourrait penser que les fonds responsables sont plus récents, et que leur tarification reflète davantage les circonstances de marché actuelles (les niveaux de frais des fonds traditionnels seraient en ce sens un atavisme lié à des pratiques historiques de marges élevées).
En résumé, les différents arguments et contre-arguments peuvent être synthétisés comme suit :
Facteurs affectant la tarification des fonds valorisant la dimension extra-financière
wdt_ID | Facteurs favorables à une moindre tarification | Facteurs augmentant les frais |
---|---|---|
1 | Produit d’appel qui bénéficie d’une tarification avantageuse | Surcoûts liés à l’analyse des critères extra-financiers |
2 | Périmètre d’investissement plus restreint qui réduit les coûts de recherche | Coûts liés à l’obtention du label et au reporting ex-post défini par le cahier des charges |
3 | Effet de mode (demande en hausse pour ces produits) qui génèrerait de la plus-value | Investisseurs moins regardants sur le niveau des frais |
4 | Des fonds majoritairement institutionnels, proposés par de grosses sociétés de gestion, qui bénéficient de rendements d’échelle | Effet mode qui inciterait à une tarification plus onéreuse (luxury goods) |
5 | Des fonds plus récents bénéficiant d’une politique de marge plus actualisée | Effet mode qui inciterait à une tarification plus onéreuse (luxury goods) |
Source : Étude de 45 pages publiée en mai par l’AMF et intitulée « Frais et performances des fonds commercialisés en France et intégrant une approche extra-financière entre 2012 et 2018 »
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