De mars 2020 à fin 2021, les Français auront épargné entre 150 et 200 milliards d’euros. Une cagnotte « forcée », liée au contexte sanitaire et la suppression de nombreuses dépenses (culture, restaurants…). De quoi susciter un enjeu pour le Gouvernement : libérer cet argent serait le meilleur plan de relance !
C’est la cagnotte qui fait rêver Bercy. Depuis le début de la crise du Coronavirus, au printemps dernier, les ménages ont épargné plus que d’habitude. L’équation est simple : en fermant les bars, restaurants, lieux culturels… 10% à 15% de leurs dépenses classiques se sont envolées. Rajoutez les fermetures régulières des commerces non essentiels, les limitations sur le tourisme, les confinements et couvre-feux et la prudence liée au contexte, et vous obtenez une « épargne forcée » constituée d’argent mis de côté par défaut.
Et l’on ne parle pas de petites sommes : François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, évoquait il y a quelques semaines un total de 165 milliards d’euros accumulés d’ici la fin de l’année. Soit « une réserve de croissance » de l’ordre de 6 ou 7% du PIB ! Et encore, son calcul précédait le confinement actuel, qui limite à nouveau les dépenses et renforce les doutes. La cagnotte pourrait alors atteindre les 200 milliards d’euros.
Cet argent intéresse forcément le Gouvernement : cette somme représente le double du Plan de relance de l’économie ! Or c’est de l’argent qui dort, souvent dans les livrets ou comptes courants, au lieu d’être injecté dans l’économie. Quand on sait que la consommation des ménages représente plus de la moitié du produit intérieur brut français, c’est un sujet majeur pour l’économie française. Le risque : plus le temps passe, plus cette épargne, d’abord forcée, peut se figer, devenant un énorme « matelas de précaution » que l’on n’ose plus dépenser.
Des essais infructueux à l’étranger
La situation n’est pas propre à la France. Partout dans le monde, les dirigeants réfléchissent à relancer la consommation, pour débloquer ces épargnes. Pour autant, impossible de forcer les gens à consommer, surtout quand les commerces sont fermés.
Certains ont misé sur une baisse temporaire de la TVA, comme l’Allemagne, la Belgique ou le Royaume-Uni. Le pari : favoriser une baisse des prix. Sauf que dans les faits, la baisse n’a pas totalement été répercutée, les professionnels, asphyxiés, en profitant pour restaurer un peu leurs marges. Résultat : une mesure qui aide les professionnels, mais ayant peu d’impact pour le public.
D’autres, comme les États-Unis, ont parié sur l’attribution de primes aux ménages. Le principe : recevoir un bonus inciterait à dépenser plus. Si la mesure a eu un impact social évident, notamment pour les ménages modestes, les sommes n’ont pas été totalement réinjectées dans l’économie… Au contraire : elles ont été massivement épargnées, ou placées dans des produits financiers, notamment les cryptomonnaies ! Pas de quoi relancer l’économie…
Carotte ou coups de pouce
S’il veut que les Français libèrent leur épargne, le Gouvernement doit donc jongler entre mécanismes incitatifs, appels au rôle du citoyen, et promesse de jours meilleurs. Pas simple, en plein troisième confinement…
Plusieurs options ont été étudiées, mais écartées. En décembre, l’idée d’un « chèque vert » de 300 euros, finançant certains achats responsables, était à l’étude, mais semble aujourd’hui oubliée. En début d’année, plusieurs leaders politiques ont porté un débat sur une taxation exceptionnelle de cette « Épargne Covid ». En mars, Bruno le Maire, ministre de l’Économie, a tranché : la proposition, jugée « injuste » et peu efficace, ne sera pas retenue. Hors de question de forcer la main des Français !
Si comme il l’espère, la pandémie ralentit à partir de mai, permettant d’envisager un retour progressif à la « normale » Le Gouvernement souhaite accompagner le mouvement, par l’incitation et non la contrainte.
Consommation, investissement et donation
Trois leviers existent. Les options sont limitées. Trois dimensions sont explorées : consommation, investissement et donation. Ce dernier sujet semble le plus avancé. Depuis plus d’un an, les personnes âgées, incitées à s’isoler, sont celles qui ont le plus limité leurs dépenses. Le Gouvernement fait donc le pari qu’en facilitant les donations familiales, ces sommes pourraient ruisseler jusqu’aux ménages plus jeunes, plus prompts à consommer. Bruno le Maire a détaillé les contours du dispositif : les dons de « quelques milliers d’euros » qui permettent aux « grands-parents de soutenir leurs petits-enfants », seraient exemptés de toute taxe. Mais le reconfinement d’avril a retardé les arbitrages. On devrait en savoir plus en mai.
Côté investissement, le sujet est éminemment complexe, alors qu’une partie de la cagnotte serait détenue en espèces par les Français ! Le Gouvernement réfléchit donc à la façon de flécher une partie de cet argent vers des placements soutenant l’économie réelle. C’est le but du label Relance, liste ministérielle de fonds investis dans des entreprises françaises respectant plusieurs critères d’exemplarité. Début avril, 161 fonds détenaient ce label. Mais une étiquette sera-t-elle suffisante pour inciter les Français à y miser leur épargne ? Pas sûr.
L’autre projet concerne l’investissement, lui aussi ralenti par le reconfinement, ce sont les prêts participatifs soutenus par l’État (PPSE). Un peu technique, l’instrument permet des prêts bancaires aux entreprises, notamment petites et moyennes, avec des taux d’intérêts limités (4 ou 5%) et des durées de remboursement longues (8 ans), et garantis jusqu’à 30% par l’État. L’argent serait investi par des institutionnels privés, qui devraient proposer aux particuliers de participer via des fonds dédiés, par exemple en assurance-vie. Bercy espère que ce dispositif génèrera 20 milliards d’euros de prêts d’ici deux ans. Reste à voir les contours des futures offres. Pour aller plus loin, certains suggèrent même à l’État de garantir le capital des épargnants à 100%. Si elle n’existe que sur le papier, l’idée de placer son épargne sans risquer de la perdre en contribuant à la relance pourrait parler à beaucoup.
La clé, c’est la confiance
Mais que l’on ne se fasse pas d’illusion : tant que la crise sera aigüe, difficile de demander aux Français de faire preuve d’optimisme. C’est au prix d’un ralentissement net de l’épidémie que les commerces pourront rouvrir, et avec eux, de nouvelles « opportunités de dépense ». Le Gouvernement le sait : tout dépendra de la confiance des ménages. Rien n’interdit d’espérer que cet été, si le virus semble « derrière nous », les Français se remettent à consommer massivement. L’an passé, après avoir chuté de 13% au second trimestre, le PIB avait gagné 18% au troisième !
Mais il ne faudra pas rater le coche : on peut imaginer cet été un allègement des règles sur les terrasses, les horaires d’ouverture… La Banque de France a fait ses calculs, et si la situation s’éclaircit à partir du mois de mai, le pays pourrait connaître en 2021 une croissance de 5%, voire 5,5%… Et retrouverait son niveau de 2019 dès 2022 !
Patience, donc : les jours meilleurs arriveront forcément…