Le rapport sur « Les grands défis économiques » qui vient d’être remis au Président de la République consacre quelques pages aux successions et à l’assurance-vie.
Réalisé par la Commission internationale d’économistes présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, le rapport sur « Les grands défis économiques » analyse « trois défis structurels à long terme : le changement climatique, les inégalités économiques et le défi démographique ». Concentrons nous spécialement sur les quelques pages de ce rapport qui concernent les droits de succession et l’assurance-vie.
Une réforme du droit des successions et des donations ?
Au niveau des successions, le rapport des économistes envisage plusieurs possibilités de réformes :
Piste 1 : Prendre en compte ce qui est reçu par le bénéficiaire et non ce qui est donné ou transmis par les donateurs ou les personnes décédées
« Tout d’abord, les droits de succession sont fondés largement sur le donateur et non sur le bénéficiaire. À titre d’exemple, à montant d’héritage égal, le taux d’imposition est plus faible si le bénéficiaire hérite de deux personnes (ses deux parents) plutôt que d’une seule (un seul de ses parents). Or, au regard de l’égalité des chances et selon les préférences exprimées par la population sondée, ce n’est pas ce que l’on donne mais ce que l’on reçoit qui doit compter ». (Extraits de la page 81 du rapport).
Piste 2 : Retenir ce qui est donné sur l’ensemble de la vie et non tous les 15 ans
« Par ailleurs, le Code des impôts prévoit des abattements tous les quinze ans, avantageant ainsi les donateurs et les bénéficiaires qui connaissent ces dispositions et peuvent planifier la transmission du patrimoine longtemps à l’avance. La logique voudrait ici que l’on prenne en compte l’ensemble des donations reçues par le bénéficiaire au cours de sa vie dans le calcul de l’impôt.
La recommandation formulée dans le Chapitre II, selon laquelle les bénéficiaires devraient être imposés sur la totalité des sommes qu’ils reçoivent des donateurs au cours de leur vie, est séduisante. Nous la reprenons à notre compte, en exprimant toutefois la même réserve que celle formulée par les auteurs : nous disposons de peu d’éléments sur les obstacles à sa mise en œuvre pratique (le seul pays européen à avoir adopté cette approche est l’Irlande, où le montant total des donations et héritages reçus au cours de la vie constitue la base imposable, après abattement de 335 000 euros pour les transmissions entre parent et enfant) ». (Extraits de la page 81 du rapport).
Piste 3 : Avec le constat suivant : Bien qu’élevés les taux d’imposition français des successions n’apportent que peu de recettes à l’État français
« En dépit de leurs taux d’imposition élevés (avec un taux marginal d’imposition des successions entre parents et enfants allant jusqu’à 45 %, la France a le taux le plus élevé des pays de l’OCDE après le Japon (50 %) et la Corée du Sud (55 % ), les droits de succession ne représentent cependant que 1,2 % de l’ensemble des recettes fiscales : pour répondre à l’impopularité de cet impôt, le législateur français n’en a pas changé les taux ou la progressivité, mais il a créé des exonérations et des possibilités d’évitement, un mal bien français. Nous ne voyons pas comment le fait d’encourager des ménages bien informés à pratiquer l’optimisation fiscale peut rendre le système plus juste. Un exemple en est donné dans le Chapitre II : celui du traitement réservé aux polices d’assurance-vie, avec un abattement de 150 000 euros par bénéficiaire et des taux préférentiels au-delà de ce seuil.
La commission recommande de taxer mieux plutôt que de taxer davantage. Nous craignons toutefois que les droits de succession restent impopulaires, même s’ils sont « améliorés » (Extraits de la page 82 du rapport).
Le rapport préconise de fonder l’imposition des successions et des donations sur ce que reçoit le bénéficiaire, et non sur ce que donne le ou les donateur(s).
Assurance vie et régime Dutreil sont critiqués
« À défaut de réforme majeure, plusieurs améliorations peuvent déjà être apportées au système existant. Tout d’abord, les possibilités d’échapper à l’impôt sur les successions sont trop nombreuses dans le système actuel.
- L’exonération des assurances-vie, plafonnée à 150 000 euros, et les taux généralement préférentiels qui s’appliquent au-delà de ce seuil, en sont un des exemples les plus flagrants. Le taux préférentiel devient particulièrement attractif pour les héritages importants et lorsque ceux-ci ne sont pas en ligne directe. Cette exonération et le raisonnement qui justifie que l’on favorise ce type d’actifs par rapport à d’autres (en particulier d’autres investissements à long terme, plus sûrs) devraient être réexaminés. Les estimations actuelles suggèrent que les recettes seraient de 20 % plus élevées sans cette exonération. Il s’agit d’un sujet politiquement sensible, le secteur de l’assurance-vie, en partie soutenu grâce à cet avantage fiscal, représentant 1 800 milliards d’euros en décembre 2019.
- Il y a aujourd’hui également une exonération importante pour la transmission des entreprises familiales (régime dit pacte Dutreil). Si on peut considérer que cette exonération est légitime pour les entreprises de taille modeste, elle est plus contestable pour les très grandes entreprises détenues par des familles aisées.
Il semble raisonnable qu’un plafonnement s’applique à cette exonération, de sorte qu’elle soit effectivement réservée aux seules petites et moyennes entreprises qui sont davantage susceptibles de connaitre des problèmes de liquidités » (Extraits de la page 276 du rapport).
Le point de vue de LINXEA
S’il est vrai que l’assurance-vie bénéficie d’un avantage exceptionnel au niveau de la transmission des capitaux, c’est aussi le seul moyen qui existe en France pour donner de l’argent à des proches avec un lien familial direct (enfants qui peuvent ainsi recevoir au delà de leur part, voir l’article ci-dessous *) ou avec un lien familial lointain (neveux, nièces) ou encore sans lien familial (concubin, amie). Alors que dans les pays anglo-saxons, la création d’une holding ou d’une autre structure peut faciliter la transmission des biens et des valeurs, il n’existe pas en France de telles possibilités.
Les économistes ont bien rappelé à la page 82 de leur rapport que « la France a le taux d’imposition des successions le plus élevé des pays de l’OCDE après le Japon (50 %) et la Corée du Sud (55 % ) » et à la page 276 de leur rapport que l’assurance-vie est « un sujet politiquement sensible ».
Enfin, si la suggestion de retenir pour les successions et donations un système comparable au système irlandais qui prend en compte l’ensemble des donations et successions sur toute la durée de vie du bénéficiaire est séduisante, la mise en pratique peut être difficile dans un système français qui octroie pour les donations des franchises actuellement tous les 15 ans.
Il y a fort à parier que ce rapport rejoindra nombre d’études, d’analyses et de préconisations qui ne verront jamais le jour. Il n’y a qu’à voir déjà les rapports de la Cour des comptes qui ne sont pas suivis d’effet.